MA SEMAINE CLASSIQUE
C'est désormais une habitude et elle est excellente: la
Bâtie réussit ses entrées en matière
théâtrales.
L'année passée, Jean-Quentin Châtelain avait
subjugué le public de l'Alhambra en soliloquant deux
heures durant sur Premier amour de Beckett. Cette fois, le bonheur
inaugural vient du Grütli où trois acteurs, dirigés
à la perfection par Gilles Laubert, s'échangent
les répliques violemment amoureuses
de l'auteur américain Edwin Sanchez.
Perfection, oui, car la mise en scène ne s'autorise aucune
fioriture décorative, aucune chiure
dramaturgique. Chassant la trouvaille et l'illustration, elle
va à l'essentiel et l'essentiel, ici, est affaire de désir
en marche. Il se joue à hauteur de sexe, dans un corps
à corps impatient, jalonné de gestes couperets et
de déclarations bâclées. Mais les exclamations
injurieuses par lesquelles les protagonistes s'interpellent rituellement
dans leurs rencontres nocturnes finissent par ressembler à
des mots tendres.
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Au-delà de la découverte d'un auteur dont on ignorait
jusqu'à l'existence, la réussite de ce spectacle
de bout en bout désirable tient au talent de deux jeunes
comédiens à peine sortis des Conservatoires de Lausanne
et de Genève: Thomas Laubacher et Gilbert Dagon. Cette
chance offerte de commencer dans la profession avec de vrais rôles,
l'un et l'autre, la transforment en or.
A certains moments de la représentation, ils s'approchent
de l'acteur-roi, qui fait que tout bascule, que la grâce
entre en scène, que le spectateur décolle de son
siège comme le décor de Gilles Lambert, en lévitation
entre deux plaisirs. Ne manquez pas de le prendre à votre
tour (jusqu'au 23 septembre au Grütli), ce plaisir élémentaire
et irremplaçable d'être ensemble au théâtre.
4.9.2000
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