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" Sur les bords " a été créé en mars 1998 en France (Maison des Arts et Loisirs de Thonon-les-Bains et Château Rouge Annemasse ) et représenté ensuite en Italie (Torino) et en Suisse (Lausanne, Genève, Nyon Moutier).

PERSONNAGES :

Louise
Mathilde
Denis

Lieu : en désaffectation


Denis écoute Mathilde qui joue de la musique.
Bruits de marteaux piqueurs. Mathilde cesse de jouer.

Denis -. Ça me fait drôle. De revenir. Ici. Où j'ai passé tout ce temps. Dans cet atelier. De Louise.
Oui Voyez-vous Mathilde, cette démolition, une vraie tristesse pour moi. Faut que je vous dise. Une femme comme Louise, c'est elle qui m'a nettoyé la tête de toutes les inepties que je m'étais fourré dedans. C'est elle qui m'a appris le métier et les mots du métier. Comme dos, tranche, cambrure, singalette et tutti quanti. Il n'y a pas jusqu'à le java qu'elle ne m'aura pas apprise ! " Allez viens ! je t'apprends à danser la java ! ", et elle m'entraînait. Vous ne pourriez pas nous en jouer une petite, pour Louise.
Bruits de marteaux piqueurs.
Je peux pas le croire. Ces murs. Que ça va disparaître. Toute ma vie d'apprenti relieur.
Mathilde joue
Une femme comme Louise, je l'entends encore : " La reliure c'est encore plus délicat que le délicat. Oh ! je sais ! pour toi c'est pas simple ! puisque tu veux devenir un dur de dur ! " . J'avais dans les dix sept ans et je ne vivais que dans la peur. La peur de moi. La peur des autres. Faut dire que quelques années plus tôt j'avais connu une histoire. Terrible. Avec un gitan. Et j'en gardais tout l'effroi du monde. A donner des grands coups de poignard au cœur. Qui font saigner des larmes.
Oui. Avant que je ne vous raconte Louise, je vais commencer par là. L'histoire du gitan.
Mathilde cesse de jouer
J'avais quatorze ans.
Je me trouvais sur les bords. D'un manège de chevaux de bois. Et c'est avec ce gitan que je m'en suis rendu compte. Que j'avais tourneboulé fille.
Ça m'arrive comme ça. Je suis à la fête foraine. Avec mes copines. On mange des pommes d'amour. Des gaufres à la chantilly. Dans notre poche, on a notre Certificat des Etudes Primaires. On est très fiers. Là. Sur les bords du manège de chevaux de bois.
Moi, je ne fais pas attention. Que je suis le seul garçon tout imberbe au milieu de toutes ces filles, et que les gars tout poilus du foot, ils sont à se tamponner sur le manège des autos. Moi, je ne suis rien que bien qu'avec mes copines, et jamais je ne peux deviner qu'une fille dans ma tête pleine de fanfreluches et de guipures, je suis tourneboulé.
" Alors ma mignonne… on s'en paie une tranche ? ", qu'avec un regard tout braiseux un beau gitan forain me prend dans ses bras, pour me hisser sur son manège de chevaux de bois.
Alors, dans cet instant-là, une vraie langueur d'amour qui poignarde au cœur tout de suite me submerge, oui ! pour un beau gitan comme lui, avec des cheveux tous bruns, des dents toutes blanches et une peau toute bronzée mate qui fait ressortir le brillant de l'or de toutes ses chaînes au cou, oui ! pour un beau brun comme lui, dans ce moment-là de ma vie de mes quatorze ans, c'est tout de suite que je serais parti sur toutes les routes pour faire la foraine gitane romanichelle, tireuse de bonne aventure.
Et voilà que dans cet instant-là de mon rêve où je tourne comme une folle éperdue d'amour au joli mois de mai, et voilà que dans cet instant-là, le Gitan forain me reprend par la taille. Derrière les manèges, il veut m'entraîner :
" Viens dans ma roulotte. Tu verras il y a tous mes frères. Encore plus beaux que moi. Allez ! viens ma jolie. "
Je suis tout prêt à partir. Mais voilà que mes copines me rappellent : " Allez, viens ! Allez viens ! Tu ne vas quand même pas suivre un Gitan romanichel. Il te vendra aux Juifs ".
" Petite ! petite ! qu'est-ce que tu es douce !" qu'il me susurre le beau gitan forain, quand tout d'un coup, il me lâche : " Mais ! ? tu as quelque chose entre les cuisses toi ! Tu vas me foutre le camp oui ! ", et il me rejette. Sur les bords. Du manège de chevaux de bois.
Moi, tout abasourdi, je fais mine de rien. Devant les copines. Mais j'ai mal. Le Gitan, il m'a tout écrabouillé.
Alors, sur les bords de ce manège, c'est comme ça que je comprends. Oui. Que dans ma tête je suis tourneboulé fille, au point que du duvet sous le nez, je n'en ai pas mis. Et de me faire rejeter comme ça, j'en reste muet comme une carpe sur la berge. Voyez-vous, Mathilde, je n'avais pas compris. Parce que pour moi tout allait de soi. Bien sûr que les gars du foot ils avaient du poil et moi pas. Pourtant je pense pas à mal. Je veux juste toujours être déjà une combattante-résistante. Je me réfugie dans le passé de la seconde guerre mondiale que j'ai jamais connu, alors que la musique d'outre-Atlantique déferle sur l'Europe.

Mathilde-. Elle joue un air connu

Denis -. C'est triste. Ici. maintenant. Bon. Voilà. Pour tout vous raconter faut que je reprennes. Dès le début. Bien avant Louise. Donc avant le Gitan. Quand j'avais dix ans.



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